IL MONSTRO

Le Monstre (Il Monstro)

Roberto Begnini, 1994 – 1h50
Roberto Benigni, Michel Blanc, Nicoletta Braschi, Dominique Lavanant, Jean-Claude Brialy, Franco Mescolini, Laurent Spielvogel, Ivano Marescotti.

La police en est persuadée : Loris est « le monstre ». Celui qui, depuis plusieurs années, sème la terreur chez les femmes seules de la banlieue de Rome. Violeur. Assassin. Fétichiste. Il est insaisissable… Pour un acteur, rien n’est plus drôle que de jouer celui qui est pris pour un autre, qui est son double inversé. Voilà pourquoi le scénario du Monstre, terriblement simple (tout n’est qu’un gigantesque quiproquo), est aussi terriblement drôle. Devant un parterre de femmes policiers, un psychiatre imperturbable (Michel Blanc), projette un document si- gnificatif. Quelqu’un a épié les faits et gestes de Loris, le monstre supposé. Stupéfaction. Loris, que nous avions vu, dans un café, maladroit au point de ne pas s’apercevoir qu’une cigarette allumée était tombée dans son pantalon… le revoilà sur l’écran, mais filmé sans ce préambule, au moment où une jeune femme, qui se penche après avoir fait tomber son cabas, lui présente ses fesses opulentes. Pour éteindre la maudite cigarette, il se tortille et finit par vider une carafe d’eau dans son pantalon. Tournés sous un autre angle et tronqués, les actes de Loris sont devenus pervers. Pour le psychiatre et les femmes flics, aucun doute : ce type est un obsédé total. Le monstre, c’est lui. Pour faire passer des gags aussi énormes, voire douteux, il faut un interprète exceptionnel. Comme toutes les grandes figures du cinéma comique, Roberto Benigni est « typé » : dans ses propres films (Le Petit Diable, Johnny Stecchino) ou dans ceux des autres (Pipicacadodo, de Marco Ferreri, Down by law, de Jim Jarmusch, La Voce della luna, de Fellini), c’est un personnage lunaire, aux cheveux ébouriffés, la tête dans les nuages. Trop bon, trop naïf, trop rêveur… Hors du monde. Hors normes. Dans ce film, il vit sans argent, sans femme, sans amis ou presque. A sa façon, pleine de poésie, il est bien un « monstre » ! D’ailleurs, avec son corps élastique, en disciple lointain de Buster Keaton, il paraît moins homme que pantin. Qu’il escalade des échafaudages, qu’il entraîne une foule entière à sa poursuite, qu’en butte à la fatalité il soit forcé de marcher accroupi (la fin est un joli clin d’oeil au Chaplin des Temps Modernes), les gags visuels sont, à chaque fois, de savoureuses trouvailles, et Benigni est irrésistible. Alors, qu’est-ce qui nous gêne ? Le scénario répétitif ? Pas vraiment. La mise en scène, pas assez délirante ? Non plus. La lourdeur de certains gags ? C’est le propre d’une farce que d’être parfois grossière. Non… Ce qui gêne dans ce film, où les meilleurs moments viennent de la pantomime et du cinéma muet… c’est qu’il est parlant ! Parlant… mais sans vrai langage. Coproduction oblige : au tournage, les Italiens ont parlé en italien et les Français, en français. Et après, tout le monde au doublage ! Si bien que la vraie « version originale » du Monstre n’existe pas. Dans la version italienne, vous aurez le plaisir d’entendre la voix extraordinaire et irremplaçable de Benigni… mais dommage pour Michel Blanc, Jean-Claude Brialy et Dominique Lavanant. Vous imaginez Dominique Lavanant sans sa voix pincée ? Ben, non ! Pas plus qu’on imagine Gabin parler en turc ou Arletty en espagnol ! Alors, allons voir la VF. L’adaptation est de Michel Blanc, c’est un gage de qualité. Oui, mais là, rien ne va plus ! Dès les premières minutes, on reconnaît, doublant Benigni, la voix de Patrick Timsit. Rédhibitoire. Dès que Be- nigni veut être drôle, ça coince. Timsit n’est pas en cause. Sa voix, un peu cassée, est bien adaptée à Loris, personnage désarticulé. Seulement, Benigni joue de la mélodie de sa langue comme de son corps. Pour faire fuir un visiteur inopportun, il se lance dans une tirade délirante et finit, emporté par l’absurde, par ne plus parler que par onomatopées. En français, l’effet tombe à plat. Pas de souffle, ni de musicalité. Faut-il que le système de coproduction (indispensable financièrement) impose une telle aberration ? Nous revoilà projetés des années en arrière, lorsque l’Italie et la France faisaient porte-monnaie commun pour produire des films, dont la version originale n’était ni italienne ni française. La voix d’un grand acteur est indissociable du bonheur que procure un film. Elle est aussi importante qu’un mouvement de caméra. Les Français font fête à Woody Allen, mais principalement dans les salles qui projettent ses films en version originale. Comme pour les Marx Brothers. Pour un comique de l’envergure de Benigni, ce n’est même pas un purisme de cinéphile… Sans sa voix, le film perd carrément la moitié de sa puissance ! Le Monstre arrive donc à point pour mobiliser tous les amoureux du cinéma : exiger une version originale, c’est une nécessité. Faut-il déjà dire un combat ? Même Arte a diffusé Le Mariage de Maria Braun, de Fassbinder, en version française ! Et c’est ainsi que les jeunes l’auront découvert… Or, c’est une évidence, la voix du comédien est une couleur dans la palette du réalisateur. Vous iriez voir, vous, une expo Van Gogh avec des lunettes noires ? – Philippe Piazzo, Télérama.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *